L’art derrière l’administration d’un lieu de diffusion
L’art derrière l’administration d’un lieu de diffusion

Les lieux de diffusion indépendants sont des acteurs culturels et économiques essentiels : ils jouent un rôle déterminant dans la diffusion des artistes émergent·e·s et des scènes alternatives tout en dynamisant l’économie locale. Si ces lieux sont des acteurs culturels et communautaires vitaux, c’est notamment grâce aux personnes qui y travaillent. Que ce soit dans la technique, la logistique, l’accueil ou le service au public, chaque événement prend vie grâce aux travailleur·se·s culturel·le·s, véritables moteurs de ces espaces.  

Souvent méconnu du grand public, le travail administratif qui soutient la gestion d’un lieu de diffusion est un rouage fondamental, si ce n’est le pilier central, pour assurer la survie et le dynamisme de ces espaces. En quoi le travail administratif dans un lieu de diffusion est-il essentiel pour la mise en place d’événements culturels ? Comment l’administration d’un lieu de diffusion contribue-t-elle à sa pérennité et à son succès ? Quels défis rencontrent les équipes administratives dans la gestion quotidienne d’un lieu de diffusion ?

Cet article explorera en profondeur le rôle clé de l’administration dans les lieux de diffusion, en analysant les responsabilités et les défis auxquels ces équipes sont confrontées pour garantir le bon fonctionnement et assurer un équilibre entre la rentabilité financière et l’accessibilité culturelle. 

 

Tous les chemins mènent en culture 

Bien que de nombreuses écoles de métiers de la culture offrent des spécialisations en production ou en médiation culturelle, il n’y a pas de diplôme professionnel spécifique requis pour gérer un lieu de diffusion. Cela donne ainsi lieu à des parcours atypiques. 

Par exemple, en plus d’obtenir un baccalauréat en communication à l’UQAM, profil stratégies de production culturelle et médiatique, Malick Touré, directeur général d’Ausgang Plaza, a toujours évolué dans le milieu des arts vivants en tant que barman, promoteur d’événements et DJ. De leur côté, l’équipe de gestion de la salle Le 164, située à Saint-Jean-sur-Richelieu, s’est lancée dans le milieu culturel durant la pandémie et continue de travailler dans leur domaine respectif, gérant le lieu après leur quart de travail en journée. Un autre exemple particulier de parcours est celui de Vanessa Lauzon, directrice générale de Sutton Encore, qui a enseigné pendant 10 ans dans des écoles primaires avant de retourner dans le milieu des arts vivants, où elle avait déjà fait carrière à Montréal.  

Malgré leurs parcours variés, iels partagent une passion pour la culture, qui les a mené·e·s à évoluer dans ce domaine. 

 

Une personne aux multiples casquettes 

Diviser pour mieux régner

La gestion d’une salle de spectacle implique également plusieurs tâches et responsabilités administratives et financières qui assurent non seulement sa pérennité, mais permettent son bon fonctionnement afin que les artistes et les technicien·ne·s puissent se concentrer sur la création et la mise en scène de la production.  

 

Photo du 164 tiré de Instagram

 

Les lieux de diffusion sont souvent gérés par une petite équipe qui répartit les rôles par département : communications, direction technique, booking, administration, gestion des opérations au plancher. Cette division permet d’assurer le bon déroulement des opérations internes, mais peut entraîner un recoupement des tâches à certains moments. Ainsi, bien que chaque personne soit responsable d’une partie de la gestion, l’équipe doit souvent se soutenir mutuellement pour garantir le bon fonctionnement de l’ensemble. 

 

Le rôle central de la direction générale

Au cœur de la gestion administrative d’un lieu de diffusion, la direction générale joue un rôle central dans le bon fonctionnement de l’espace. Peu importe la taille de l’équipe administrative, celle-ci doit superviser l’ensemble des opérations, que ce soit en appuyant ses collègues ou en s’occupant du développement d’affaires, notamment en initiant des projets et en s’impliquant dans la vie communautaire. Cela peut passer par l’organisation du spectacle de la Fête nationale, comme le fait Sutton Encore, ou par un engagement au sein du comité Clubs, bars culturels et salles de spectacles du Conseil de nuit de MTL 24/24, comme Malick Touré. 

Une tâche essentielle de la direction générale dans la gestion d’un lieu de diffusion indépendant est la recherche et la demande de financement. Pour faire rayonner les artistes émergent·e·s tout en maintenant la culture accessible à tous·tes, ces lieux dépendent du financement public pour couvrir une partie de leurs dépenses. 

 

Sutton Encore

 

En plus de s’occuper du côté administratif, la gestion d’un lieu de diffusion nécessite également d’être sur place lors des événements afin de préparer la salle, accueillir les artistes, les employé·e·s et s’assurer du bon déroulement du spectacle. Ces tâches incluent aussi la gestion des imprévus de dernière minute et des plaintes de la part des client·e·s et des employé·e·s. 

Cela dit, il arrive parfois qu’un lieu de diffusion soit géré par une seule personne. C’est le cas, notamment, pour Sutton Encore et le Centre culturel Le Griffon, où une seule personne occupe le poste de directeur·rice général·e. Dans ce cas, c’est à elle qu’incombe l’accomplissement de toutes les tâches, habituellement réparties entre plusieurs membres de l’équipe, ce qui lui impose un volume de travail parfois colossal, en plus d’être présente lors des représentations pour veiller à leur bon déroulement.  

 

Les qualités et compétences recherchées 

Étant donné la polyvalence qu’exige la gestion d’un lieu de diffusion, il est essentiel de maîtriser la gestion des ressources humaines, de posséder de solides aptitudes relationnelles et d’avoir une connaissance approfondie du secteur culturel. 

 

Les compétences : 

Compétences administratives et financières : Gérer un espace culturel nécessite de maîtriser la gestion administrative et d’être à l’aise avec les chiffres afin de négocier des contrats d’artistes et de s’occuper des budgets pour les événements et les projets, des factures et paiements ainsi que des demandes de subventions. 

Compétences en communication : Le travail administratif dans les lieux de diffusion exige d’être à l’aise pour communiquer avec divers·es interlocuteur·rice·s : artistes, technicien·ne·s, partenaires, médias, public et même, parfois, des responsables municipaux·ales, provinciaux·ales et fédéraux·ales.  

Connaissance du secteur culturel : Puisque les lieux de diffusion jouent un rôle clé dans l’écosystème culturel en dynamisant l’offre artistique, il est essentiel que ceux et celles qui y travaillent possèdent une bonne connaissance du secteur culturel et restent à l’affût des artistes émergent·e·s en vogue, des enjeux majeurs et des initiatives culturelles en cours. 

Connaissances en droit et fiscalité : Il est essentiel de maîtriser les réglementations qui encadrent ces espaces, qu’il s’agisse des normes de bruit, du code du bâtiment, des contrats de travail ou de la sécurité sociale. Une bonne connaissance de ces aspects permet d’assurer la conformité légale du lieu, d’éviter d’éventuelles sanctions et de garantir des conditions sécuritaires autant pour les artistes et les employé·e·s que pour le public. 

 

 

Les qualités :  

Capacité de multitâches : Gérer un lieu de diffusion, c’est porter plusieurs casquettes et être, en quelque sorte, un véritable couteau suisse. C’est pourquoi il est essentiel de savoir jongler avec plusieurs responsabilités et d’accomplir différentes tâches simultanément.   

Sens de l’organisation : Entre la gestion du personnel, les demandes de financement, la programmation et les imprévus du quotidien, la charge mentale peut être importante. Être partout à la fois demande un excellent sens de l’organisation afin de prioriser les tâches essentielles et d’éviter, par exemple, de manquer la date limite d’une subvention. 

Qualités relationnelles : Des relations harmonieuses et professionnelles favorisent un environnement de travail agréable et efficace. Une communication fluide, le respect des engagements et une attention aux besoins de chacun·e peuvent faire toute la différence. Souvent, c’est cette qualité de relation qui influence la décision d’un artiste de revenir se produire dans une salle, de la recommander à ses pairs ou même d’y développer un lien à long terme. 

Flexibilité : Administrer un lieu de diffusion, c’est composer avec un horaire atypique comprenant des spectacles, répétitions et événements spéciaux qui ne suivent pas un cadre fixe et qui peuvent avoir lieu en soirée, la fin de semaine ou même tard dans la nuit. La flexibilité est donc essentielle pour s’assurer que tout se déroule sans accroc. Cette capacité d’adaptation permet non seulement de répondre aux besoins des artistes, des technicien·ne·s et du public, mais aussi de gérer efficacement les imprévus et d’assurer une présence lorsque c’est nécessaire. 

Rester pragmatique face aux situations : La capacité à rester pragmatique est essentielle pour naviguer dans un environnement souvent imprévisible et dynamique. Cela signifie prendre des décisions basées sur des considérations pratiques et réalistes, tout en gardant un objectif clair. Par exemple, rester pragmatique permet d’éviter de tomber dans des projets irréalistes ou de laisser des émotions ou des désirs personnels influencer des aspects cruciaux comme la programmation. 

 

Une passion commune mise à l’épreuve 

Gérer une salle de spectacle, c’est souvent mettre sa passion à l’épreuve. Si l’amour de la musique et de la culture pousse bon nombre de gestionnaires à s’investir pleinement, l’instabilité constante du secteur vient rapidement compliquer la tâche. 

Cette précarité peut survenir du côté financier, étant donné que les lieux de diffusion dépendent énormément du financement public. La billetterie et les ventes de boissons ne suffisent souvent pas à couvrir les frais d’exploitation, forçant les gestionnaires à rechercher constamment des aides gouvernementales, des commandites ou des partenariats privés. Le temps consacré à la recherche et à la rédaction de subventions est très énergivore, sans garantie de réussite — un temps qui pourrait être investi ailleurs. Cette quête de financement perpétuelle ajoute une pression supplémentaire et rend difficile la planification à long terme, puisque le moindre changement dans les politiques de financement peut mettre en péril la survie d’un lieu. 

Les espaces culturels, principalement ceux situés à Montréal, doivent également jongler avec les réglementations qui évoluent et limitent parfois leur capacité d’action. Les normes de sécurité, les permis d’alcool, les restrictions sonores et les règles d’accessibilité peuvent rapidement devenir des casse-têtes administratifs qui impliquent des coûts supplémentaires et des démarches complexes. Dans ce contexte, les gestionnaires doivent constamment se tenir au courant des derniers changements qui les affectent et s’adapter pour maintenir leurs activités sans compromettre l’expérience des artistes et du public. 

De plus, en coulisse, le travail administratif reste souvent dans l’ombre, donnant lieu à un manque de reconnaissance ainsi qu’à des critiques et des jugements hâtifs de la part des artistes, du public ou des employé·e·s. Bien souvent, les gens ne mesurent pas l’ampleur du travail ainsi que des sacrifices consentis pour maintenir ces lieux en activité. Cette invisibilité peut également peser sur la motivation, rendant plus difficile la valorisation du rôle essentiel que jouent ces gestionnaires dans la vitalité culturelle locale. 

 

Photo tiré du Facebook d’Ausgang Plaza

 

Pourtant, malgré ces obstacles, nombreux et nombreuses sont ceux et celles qui tiennent bon. Participer à la culture, c’est aussi cultiver cette résilience. Même face aux moments difficiles et stressants qu’implique la gestion d’un lieu de diffusion, la possibilité de voir les artistes grandir, de participer à des rencontres et des échanges culturels, de contribuer à l’effervescence culturelle locale et de créer des instants de communion entre la scène et le public leur donne la force de continuer et ravive leur passion indéfectible pour la musique et leur communauté. 

De plus, même si le travail de gestion peut paraître solitaire par moment, les regroupements de salles tels que RIDEAU, les associations culturelles comme Les SMAQ et les forums de discussion favorisent la création d’un réseau de gestionnaires culturels afin de promouvoir le partage d’expériences, de trouver des conseils pratiques et de mutualiser des ressources. Cette solidarité entre gestionnaires de différents espaces culturels permet de mieux faire face aux enjeux communs, qu’il s’agisse de négocier avec les instances gouvernementales ou de partager des stratégies de financement, tout en nourrissant un sentiment d’appartenance à une communauté plus large. 

 

Les faits saillants 

Une présence indispensable sur le terrain, mais souvent négligée : Souvent méconnu, le poste de direction générale est au cœur des opérations d’un lieu de diffusion. En plus de superviser la gestion administrative, financière et humaine, il implique la recherche de financement, la coordination des équipes et l’engagement dans la communauté locale, assurant ainsi la pérennité et le bon fonctionnement de l’espace au quotidien. 

Des défis constants à relever : Gérer un lieu de diffusion implique de faire face à des obstacles récurrents tels que l’instabilité financière, la dépendance aux subventions et les contraintes réglementaires, tout en gérant des imprévus quotidiens. Ce rôle est un véritable test de résilience et d’adaptabilité, demandant une capacité à naviguer dans l’incertitude pour maintenir une programmation culturelle accessible et diversifiée. 

La passion comme moteur : Malgré la charge de travail et la pression, les directions générales restent motivé·e·s par leur engagement envers la culture et leur communauté. Elles jouent un rôle clé dans la vitalité artistique locale, soutenant les artistes émergent·e·s, dynamisant la vie culturelle et offrant des expériences marquantes au public. 

 

Un grand merci à Émilie Beaudry du 164, Malick Touré d’Ausgang Plaza et Vanessa Lauzon de Sutton Encore pour avoir partagé leur expérience dans le cadre de cet article.