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Le blockbooking: une pratique à double tranchant
Le blockbooking: une pratique à double tranchant

Un peu d’histoire

La technique de «réservation en bloc», plus connu sous le nom de blockbooking, est une technique de marketing qui a vu le jour dans les années 20 par les studios américains. Voulant faire plus de profit, ceux-ci forçaient les exploitant·e·s de salles de cinéma à louer un lot de films plutôt que de choisir parmi les films disponibles. Résultat: les salles de cinéma finissaient par avoir plusieurs mauvais films pour un seul bon film. Rendue illégale par la Cour Suprême, cette pratique a pris fin officiellement en 1948.

Malgré ses intentions peu honorables, le concept de blockbooking peut s’avérer utile lorsqu’il est exploité de la bonne façon.

 

Le Blockbooking, c’est quoi ?

Le blockbooking est une pratique souvent utilisée dans l’industrie musicale où un·e producteur·rice ou un·e agent·e demande à plusieurs salles de concert d’accepter un spectacle avec les mêmes conditions pour tous. Au Québec, cette pratique a des implications importantes pour les salles de musique indépendantes, avec ses avantages et ses inconvénients distincts.

 

Avantages :

  1. Stabilité de la programmation: Le block booking peut offrir une programmation plus stable pour les salles de musique en leur garantissant un calendrier de spectacles plus complet sur une période donnée. Cela peut aider à réduire les périodes de creux dans l’agenda et à maintenir un flux régulier de spectateur·rice·s.
  2. Négociation facilitée: Les promoteur·rice·s peuvent souvent offrir des réductions ou des incitations financières lorsque plusieurs spectacles sont réservés simultanément. Cela peut permettre aux salles de musique d’obtenir des contrats plus avantageux avec les artistes ou les groupes et de faire venir des artistes émergent·e·s ou encore des artistes internationaux·ale·s.
  3. Diversité de la programmation: En regroupant plusieurs spectacles, les salles peuvent offrir une plus grande diversité musicale à leur public, ce qui peut attirer différents types de spectateur·rice·s et élargir leur base de client·e·s potentiel·le·s.
  4. Plus de visibilité pour une salle moins connue: Ce n’est un secret pour personne, si un·e artiste ayant du succès actuellement vient dans une salle, iel attirera son public. Certaines salles en région ne sont pas connues des habitant·e·s de son territoire, ce qui permet aussi de faire découvrir à la population la richesse de son offre culturelle.

 

Photo prise au Zaricot

 

Inconvénients :

  1. Perte de flexibilité: Le blockbooking peut limiter la flexibilité des salles de musique pour réagir aux opportunités de dernière minute ou pour ajuster leur programmation en fonction des tendances du marché. Cela peut être particulièrement préoccupant pour les salles qui souhaitent rester réactives et innovantes.
  2. Risque financier accru: Accepter un ensemble de spectacles en blockbooking comporte un risque financier plus élevé, car les salles peuvent se retrouver engagées à payer des cachets élevés même si certains spectacles ne rencontrent pas le succès escompté en termes de vente de billets. Pour cela, une promotion commune entre les salles et les agent·e·s est nécessaire.
  3. Impact sur la qualité de la programmation: Le blockbooking peut parfois conduire à une programmation moins diversifiée et moins innovante, car les salles peuvent être tentées de privilégier la rentabilité financière au détriment de la qualité artistique ou de la variété des genres musicaux présentés. Mais cette stabilité financière peut aussi amener la salle à prendre plus de risques sur d’autres dates pour programmer un·e artiste de la relève ou avec une proposition artistique audacieuse.
  4. Moins facile à Montréal et Québec: Le blockbooking doit être fait conjointement avec des salles en région, la concurrence étant plus rude au sein de ces villes. Mais, faire du blockbooking permettrait aux salles de fournir des cachets aux artistes et donc de prétendre à plus d’aides du gouvernement comme le FCPA.

 

Le blockbooking est déjà présent dans le quotidien des gros joueur·se·s tels que les adhérent·e·s du ROSEQ qui utilisent la plateforme Scène Pro. En France, le réseaux Fédéchanson a une solution en interne, faite maison et conjointement, qui est actualisé régulièrement suivant les retours de ses membres.

 

Où en sont les idées?

Le 13 février 2024, dans le cadre du Phoque OFFles SMAQ a sollicité ses membres et les professionnel·le·s de l’industrie autour d’un atelier sur la place du blockbooking dans les réseaux de diffusion émergents. L’atelier était animé par Paola Dugit-Gros (chargée des services aux membres des SMAQ) avec comme intervenant·es Jon Weisz (directeur général des SMAQ) et Lise Boyer (AASPAA) L’idée était de réfléchir en groupe et de répondre à des questions, à savoir quelle définition chacun·e donnait du blockbooking, ce que cela impliquait d’avoir un tel système en place, qu’est-ce qui serait intéressant et pour qui, en plus de l’impact sur le réseau des SMAQ et la pertinence pour la musique indépendante québécoise.

 

Crédit photo : Paola Dugit-Gros

 

Cette discussion a suscité beaucoup d’intérêt dans la salle comble du Julio Taqueria! D’après les participant·e·s, «nécessaires» et «à double tranchant» sont les deux expressions qui définissent au mieux le blockbooking dans notre contexte pour les mêmes raisons évoquées plus haut et principalement :

  • Avoir des artistes émergent·e·s en région
  • Faire découvrir aux autres salles des artistes
  • Pas de jours blancs dans une tournée
  • Plus d’accès pour le public des artistes qu’iels écoutent et donc un meilleur achalandage des salles
  • Avoir la possibilité d’accueillir des artistes internationaux·ale·s et de créer des partenariats
  • Une promotion commune pour la tournée d’un·e artiste
  • Amener les artistes à présenter d’autres formats sur la route (duo, trio, solo plus intimiste…)

 

Même si le parcours semble compliqué et les concessions, nécessaires, chaque personne présente admettait que la mise en place du blockbooking dans notre réseau serait le plus efficace, sous certaines conditions:

  • Ne pas baser toute sa programmation dessus pour laisser la place aux artistes de la relève et du territoire
  • Faire en sorte que les fin de semaines ne soient pas toujours bookées par les mêmes
  • Ne pas oublier la diversité pour que toutes les salles n’annoncent pas la même programmation
  • Ne pas complexifier la démarche et avoir une personne pour aider à la coordination

 

Une affaire à suivre

L’avenir du blockbooking au Québec dépendra de plusieurs facteurs, notamment des évolutions dans l’industrie musicale, des politiques gouvernementales et des initiatives prises par les acteur·rice·s de l’industrie. Voici quelques scénarios possibles pour l’avenir du blockbooking au Québec.

 

 

Crédit photo : Luis Morera

 

Le maintien de la pratique

Malgré les défis qu’il pose pour les salles de concert indépendantes, le blockbooking pourrait continuer à être largement utilisé au Québec, en raison de sa capacité à offrir une certaine stabilité financière pour les producteur·rice·s et les agent·e·s. Cependant, les acteur·rice·s de l’industrie pourraient travailler à mettre en place des pratiques plus équitables et transparentes pour atténuer les inconvénients du blockbooking.

 

Retourner vers des modèles des modèles de booking classiques

Face aux préoccupations concernant la perte de flexibilité et la limitation de la diversité artistique associées au blockbooking, les salles de concert et les producteur·rice·s pourraient revenir des modèles de réservation plus flexibles tels que la réservation à la carte, où les salles sélectionnent individuellement les spectacles à accueillir, ou des accords de partage des risques où les risques financiers sont partagés entre les différentes parties prenantes.

 

L’émergence de nouvelles plateformes et réseaux de réservation

D’autres plateformes en ligne et des réseaux de réservation pourraient émerger comme Scène Pro pour faciliter la programmation des spectacles et encourager la collaboration entre les salles de concert, les artistes et les producteur·rice·s. Ces plateformes pourraient offrir des outils de réservation plus sophistiqués, des analyses de données avancées et des mécanismes de fixation des prix transparents pour aider à optimiser la programmation des spectacles.

 

Intervention gouvernementale

Le gouvernement québécois pourrait également intervenir en mettant en place des politiques ou des incitations visant à promouvoir des pratiques de réservation plus équitables et à soutenir la diversité artistique dans les salles de concert. Cela pourrait inclure des subventions ou des incitations fiscales pour les salles qui programment une variété de spectacles ou qui soutiennent les artistes émergent·es.

En fin de compte, l’avenir du blockbooking au Québec dépendra de la manière dont les acteur·rice·s de l’industrie musicale adaptent leurs pratiques pour répondre aux besoins changeants des salles de concert, des artistes et du public, tout en maintenant un équilibre entre la viabilité économique et la diversité artistique.

 

Le mot de la fin

En conclusion, l’avenir du blockbooking au Québec reste sujet à diverses possibilités, chacune avec ses propres implications pour l’industrie musicale locale. Alors que le blockbooking offre des avantages en termes de stabilité financière et de programmation pour les salles de concert, il soulève également des préoccupations concernant la perte de flexibilité, la limitation de la diversité artistique et les risques financiers accrus.

Pour naviguer vers un avenir plus durable et équilibré, les acteur·rice·s de l’industrie musicale au Québec devraient envisager des approches plus flexibles et collaboratives dans la programmation des spectacles. Cela pourrait impliquer l’exploration de nouveaux modèles de réservation, le développement de plateformes technologiques innovantes pour faciliter la programmation des spectacles, ainsi que des efforts concertés pour promouvoir la diversité artistique et soutenir les salles de concert indépendantes.

De plus, une intervention gouvernementale proactive pourrait jouer un rôle crucial en fournissant un soutien financier et en mettant en place des politiques incitatives pour encourager des pratiques de programmation plus équitables et durables.

En fin de compte, en trouvant un équilibre entre la stabilité économique et la créativité artistique, l’industrie musicale au Québec peut créer un environnement où les salles de concert prospèrent tout en offrant une programmation diversifiée et enrichissante pour les spectateur·rice·s.