Protéger la culture québécoise commence par les lieux de diffusion indépendants!
Protéger la culture québécoise commence par les lieux de diffusion indépendants!

Les décisions politiques internationales, comme les récentes mesures protectionnistes américaines, influencent de plus en plus les choix culturels et les habitudes de consommation. Investir dans notre propre culture est plus que jamais essentiel pour affirmer notre autonomie culturelle et économique. Soutenir la culture locale n’est pas juste une question de principe soutien ; c’est investir dans ce qui façonne notre identité collective, fait vivre nos quartiers, dynamise notre économie et assure une diversité artistique indispensable.  

Un des moyens les plus concrets d’y parvenir passe assurément par les lieux de diffusion indépendants, qui jouent un rôle clé dans la diversité culturelle en donnant une vraie place aux artistes d’ici et en gardant la culture accessible à tous·tes. Aujourd’hui, 80 % des spectacles musicaux professionnels au Québec sont présentés dans ces lieux (SODEC), soulignant ainsi leur rôle fondamental dans l’écosystème musical québécois. Contrairement aux plateformes numériques et aux grandes salles commerciales, ils offrent un espace où les artistes émergent·e·s peuvent se produire, où la diversité culturelle peut s’exprimer librement et où le public peut découvrir des œuvres qui ne cadrent pas dans les logiques strictement marchandes.

Mais qu’est-ce ce qui définit exactement un lieu de diffusion indépendant ? En quoi se distingue-t-il des grandes salles privées et des modèles dominants de l’industrie du spectacle ? Pourquoi ces lieux sont-ils essentiels à la diversité artistique, et surtout, comment peut-on les soutenir pour qu’ils continuent d’exister et de prospérer ? Cet article explore ces questions en mettant en lumière leur rôle unique et les solutions pour assurer leur pérennité.

 

Pourquoi les lieux de diffusion indépendants plutôt que d’autres 

L’option locale, loin des filiales étrangères

Les lieux de diffusion indépendants se distinguent par leur gouvernance locale et leur autonomie vis-à-vis des grandes institutions culturelles et des multinationales du divertissement. Contrairement aux grands conglomérats qui centralisent l’ensemble de la chaîne de production et de diffusion du spectacle vivant, ces espaces sont gérés par des acteurs enracinés dans leur communauté et fonctionnent sans l’influence directe de groupes comme Live Nation.

L’indépendance d’un lieu de diffusion ne repose pas seulement sur sa gestion, mais aussi sur la manière dont il génère et redistribue ses revenus. Les lieux de diffusion comme le MTELUS, le Centre Bell qui appartiennent à des groupes privés, des promoteurs ou des investisseur·euse·s, bénéficient d’investissements provenant de l’étranger et participent à un modèle économique où une part importante des revenus générés par la billetterie, la location de salle et la vente de concessions est redistribuée vers des sièges sociaux hors du Québec. À l’inverse, les lieux de diffusion indépendants réinvestissent directement leurs revenus dans leur milieu : chaque billet vendu bénéficie aux artistes, aux travailleur·se·s culturel·le·s, aux fournisseur·se·s locaux·ales et aux commerces de proximité. Cet enracinement local assure une économie circulaire, où les revenus restent dans le milieu culturel québécois plutôt que d’alimenter les structures multinationales.

Leur indépendance se reflète également dans le choix des partenaires et des outils de gestion. Alors que les grandes salles privées s’appuient sur des plateformes comme Ticketmaster – qui pratique la tarification dynamique et applique des frais souvent opaques – les lieux de diffusion indépendants privilégient des entreprises locales comme Lepointdevente.com ou Tuxedo Billetterie, garantissant une accessibilité accrue pour les spectateur·rice·s et les artistes.

 

Pour la communauté, par la communauté

Les lieux de diffusion indépendants ne sont pas de simples salles de spectacle : ils sont des espaces de rencontre et d’échange où se tissent des liens sociaux durables.  Leur modèle d’affaires repose sur une gouvernance locale, prenant la forme de coopératives, d’OBNL ou d’entreprises privées avec un actionnariat local.  Contrairement aux grandes structures commerciales, leur gestion est pensée pour répondre aux besoins culturels et sociaux du milieu, garantissant une offre culturelle accessible et diversifiée.

 

Artiste Delachute – Photo tiré du Facebook de L’Anti Bar & Spectacles

 

Leur impact dépasse largement la sphère artistique. En plus de proposer une programmation culturelle diversifiée, ces lieux indépendants contribuent également à l’animation urbaine de leur quartier en s’impliquant dans des initiatives communautaires: ateliers de formations, collectes de fonds et événements solidaires, collaborations avec des écoles et organismes jeunesse. Ces initiatives font de ces espaces de diffusion des lieux clés dans la cohésion sociale du quartier en créant un sentiment fort d’appartenance, en créant des opportunités d’échanges et en encourageant une participation active à la vie culturelle locale.  

 

Une diffusion culturelle et musicale autonome

Les grandes salles commerciales cherchent à attirer un large public avec des événements populaires et des spectacles à grand déploiement pour maximiser la rentabilité. Leur programmation est ainsi construite autour de spectacles souvent portés par de grands promoteurs avec une offre qui favorise les artistes établi·e·s et internationaux·ales et les productions les plus rentables. 

À l’inverse, les lieux de diffusion indépendants se donnent comme mission de soutenir la scène locale et d’offrir un espace pour les artistes émergent·e·s en mettant en valeur des compositions originales québécoises et en diversifiant l’offre culturelle. Ce faisant, même si leur programmation inclue occasionnellement des artistes internationaux·ales et établi·e·s, ces lieux privilégient avant tout des spectacles qui ne s’inscrivent pas dans les circuits commerciaux dominants et qui permettent aux créateur·rice·s d’ici de rejoindre leur public. 

De plus, ces espaces ne fonctionnent pas en vase clos : ils participent activement à l’équilibre du milieu culturel. Plusieurs adoptent une approche complémentaire aux festivals en ajustant leur calendrier ou en réduisant leurs activités en période estivale, permettant ainsi aux événements extérieurs de prendre le relais et d’assurer une continuité dans l’offre culturelle. Cette dynamique favorise un écosystème sain et durable, où chaque acteur·rice joue un rôle spécifique dans la diffusion et la mise en valeur des artistes.

 

Encourager la culture locale

Une baisse alarmante

Au moment où cet article est rédigé, la culture locale semble de moins en moins attirer la population. Ce constat a été dressé le 28 octobre lors du Forum stratégique sur les arts vivants et la culture de la Chambre, organisé par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM). À cette occasion, une nouvelle étude a révélé une baisse d’achalandage dans le secteur des arts vivants, malgré une offre culturelle en croissance.

 

Données provenant de l’étude Montréal, métropole culturelle : Protéger et développer nos atouts culturels

 

Le milieu des arts de la scène vie plutôt une réallocation du budget culturel : face à l’explosion du prix des billets des tournées internationales, +17,8 % entre 2019 et 2022 (Pollstar, 2022), une part croissante du public se tourne vers quelques événements phares, au détriment d’une fréquentation plus régulière des lieux indépendants.

Les salles de diffusion indépendantes offrent pourtant une alternative accessible. Contrairement aux productions commerciales, qui maximisent la rentabilité, ces salles maintiennent des prix stables malgré une hausse dans les trois dernières années de 40 % de leurs coûts d’exploitation. Leur mission : assurer un accès équitable à la culture québécoise et permettre au public d’assister à plusieurs spectacles locaux pour le prix d’un billet de tournée internationale. 

Ce défi de l’accessibilité se combine à une crise de la découvrabilité.  Bien que l’Observatoire de la culture et des communications du Québec (OCCQ) note une augmentation du nombre total de chansons écoutées sur les plateformes de diffusion en continu (Spotify, Apple Music, YouTube Audio, etc) en 2024, la part des écoutes d’artistes québécois·e·s sur les plateformes de diffusion en continu a atteint un creux historique, n’atteignant que 6,8%. En 2023, l’OCCQ avait ressorti que seulement 2% était destiné à des nouveautés francophones québécoises. Dans ce contexte, les lieux de diffusion indépendants restent essentiels pour offrir aux artistes une vitrine hors des algorithmes qui favorisent les contenus internationaux.

Il est donc plus crucial que jamais d’investir dans la culture québécoise, ses artistes, et surtout dans les lieux de diffusion à travers la province. Ces établissements constituent la pierre angulaire de la culture et jouent un rôle essentiel dans sa pérennité sous toutes ses formes.  Soutenir ces lieux, c’est assurer la pérennité de la musique québécoise et garantir un accès équitable à la culture pour tous·tes.

 

Des gestes qui peuvent faire toute la différence

Évidemment, la façon la plus simple d’encourager la culture locale est d’y investir en assistant aux représentations d’artistes québécois·e·s dans des lieux de diffusion indépendants. Une initiative citoyenne lancée par la cinéaste Myriam Verreault, « Le 12 février, j’achète un billet pour une sortie culturelle québécoise », avait d’ailleurs connu un franc succès auprès de la population québécoise. En achetant des billets pour une sortie culturelle, on participe directement à la préservation et à l’épanouissement de la scène musicale locale, tout en permettant aux artistes d’ici de continuer à créer et à se faire entendre. 

 

Crédit : Marie-Pier Lemieux, illustratrice

Sensibiliser et mobiliser son entourage constitue une autre façon efficace de soutenir les lieux de diffusion indépendants. En parlant des spectacles à venir autour de soi, en offrant des billets en cadeau ou en invitant ses proches à nous accompagner lors de nos sorties culturelles, on crée une dynamique collective. Ces gestes simples permettent de faire découvrir la richesse de la scène locale et d’encourager une participation active à la vie culturelle, contribuant ainsi à la pérennité de ces espaces essentiels. 

D’autres façons de soutenir les lieux de diffusion incluent de se renseigner sur leurs activités et participer activement à leur écosystème. Cela peut aussi se traduire par l’implication dans leurs comités ou la participation en tant que bénévoles, contribuant ainsi à la gestion et à la vitalité de ces espaces.  

Au-delà de l’engagement personnel, s’engager politiquement est une autre manière concrète d’agir en faveur de ces lieux. Cela peut passer par la signature de pétitions pour défendre des causes culturelles ou par le soutien actif d’acteur·rice·s culturel·le·s qui œuvrent pour la préservation et le développement des scènes indépendantes. Chaque geste, qu’il soit personnel ou collectif, renforce la résistance et la pérennité de la culture locale. 

 

Ce qu’il faut retenir

  • Soutenir les lieux de diffusion indépendants, c’est investir directement dans notre culture et notre économie: Face aux mesures protectionnistes américaines, favoriser les lieux de diffusion indépendants permet de garder la culture québécoise vivante tout en soutenant un écosystème local qui génère des retombées économiques concrètes. Ces lieux réinjectent directement leurs revenus dans leur communauté, au bénéfice des artistes, des travailleurs culturels et des commerces de proximité.
  • Un écosystème menacé par la monopolisation du spectacle vivant: Alors que les multinationales du divertissement et les algorithmes des plateformes de streaming privilégient les contenus les plus rentables, la culture québécoise peine à se frayer une place. Les lieux de diffusion indépendants demeurent ainsi des espaces essentiels où la diversité artistique d’ici peut s’épanouir, offrant au public une découverte culturelle vivante et accessible, bien au-delà des tendances dictées par les marchés internationaux.
  • Un geste simple, mais essentiel: Que ce soit par le bénévolat, la participation à des comités ou le soutien aux politiques culturelles, ou tout simplement à travers l’achat de billets de spectacle, chacun·e a un rôle à jouer pour préserver un accès équitable à la culture et de renforcer notre souveraineté culturelle et économique face à l’hégémonie des conglomérats internationaux.

 

Investir dans notre culture, c’est garantir son avenir. Chaque geste compte !

 

Sources: 
Concert Industry Roars Back! Pollstar 2022 Mid-Year Report, Pollstar.

Montréal, métropole culturelle : Protéger et développer nos atouts culturels, Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM)

Les écoutes en streaming au Québec : Analyse et statistiques. Observatoire de la culture et des communications du Québec (OCCQ).